Joies et peines d’un mélange improbable

Je suis née au Burundi d’une mère rwandaise et d’un père vietnamien avant d’arriver en Belgique à l’âge de cinq ans.

Lorsque j’étais enfant, dans la Belgique provinciale des années 1990 où les Asiatiques étaient rares, ma famille faisait office d’ovni.  La société dans laquelle j’ai grandi n’était composée que de Blancs, de Noirs ou de « cafés au lait ». Nous n’étions pas juste minoritaires : nous ne rentrions dans aucune case.

Si comme pour la plupart des métis, la question de ce “je suis” a été un sujet de discussion récurrent au cours de ma vie, la curiosité entourant mes origines se doublait d’un sentiment de confusion à propos l’étrange union de mes parents. Dans l’esprit de beaucoup, le métissage est avant tout perçu comme l’union d’un Blanc avec une personne d’origine « exotique ». Et voilà que débarquaient mes parents, physiquement si différents et assurément non Blancs.

J’ai donc passé une grande partie de ma vie à répondre à la même litanie de questions : Tu es déjà allée au Rwanda ? Tu parles vietnamien ? Est-ce que tes parents sont toujours mariés ? Tu te sens plus rwandaise ou vietnamienne ?

Des questions auxquelles je ne savais pas répondre et que je ne me posais pas. Ma sœur, mon frère et moi n’avons pas grandi au sein d’une communauté particulière, mais dans l’espace neutre que mes parents s’étaient creusés dans ce monde. Un espace intermédiaire où il était normal de manger vietnamien tout en entendant ma mère discuter en kinyarwanda au téléphone.

Aux États-Unis, seule 0.06% de la population est considérée comme Blasian – c’est à dire d’ascendance asiatique et africaine. Ce chiffre est sans doute bien inférieur en Europe. Depuis toujours, être confrontée au reste du monde ne fait donc que me rappeler l’improbabilité de mon existence.

Mon identité est souvent définie de façon négative : je pourrais être malgache, ou sri lankaise, ou indonésienne, mais je ne le suis pas. Grandir dans ces conditions est une expérience solitaire, et je me sentais un peu plus à part à chaque fois que la liste de mes nationalités fictives s’allongeait.

Mes parents ne sont pas actifs au sein de leurs communautés respectives. Ils ne nous ont pas préparés à expliquer ce que nous étions, ni à la façon dont nous pourrions être vus par le reste du monde. Ils nous ont au contraire présenté notre identité comme une page blanche que nous étions libres de remplir à notre guise. Plus jeune, il m’arrivait de leur en vouloir de nous avoir privés de la sécurité d’une culture bien définie.

Je réalise aujourd’hui qu’ils m’ont offert la liberté de me définir entièrement comme je le voulais, indépendamment des opinions des autres ou de leur propre histoire.

Étant une personne profondément politisée, je ne me suis jamais sentie aussi vietnamienne qu’en visitant les tunnels creusés par les Viet Cong près d’Ho Chi Minh City, et je me sens immensément rwandaise lorsque j’ai le sentiment d’apporter ma petite pierre à l’édifice de la construction du Rwanda.

Je ne suis pas de ceux qui pensent que le métissage inéluctable de l’humanité apportera une réponse naturelle au racisme et je ne considère pas mon existence comme un acte politique.

Mais je m’estime extrêmement chanceuse d’avoir reçu une éducation réellement tolérante, qui me pousse à rechercher la différence non comme une source d’exotisme, mais par sincère curiosité envers d’autres façon d’être et de vivre. J’ai vécu en Chine et je m’apprête à déménager au Rwanda. Peut-être que je m’installerai un jour en Amérique latine. Mon métissage m’a placée dans une position d’altérité perpétuelle, étrangère à tous mais parfaitement intégrée où que j’aille. Et c’est aussi libérateur que terrifiant.